D'après le roman de Michael Grant
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Caine Soren ~ The research of crown

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Caine Soren ~ The research of crown  Empty Re: Caine Soren ~ The research of crown

Message  Caine Soren Sam 31 Juil - 18:08

    Caine laissa son dos s'appuyer pleinement contre le dossier de sa chaise de bureau au fur et à mesure que les résultats s'affichaient sur l'écran de l'ordinateur portable, cadeau de son père à l'occasion de son passage au collège. Un cadeau très utile qui lui permettait de mener ses recherches sans avoir à s'en référer à quiconque puisqu'il avait la possibilité de le faire dans sa chambre, à l'abri des curieux qui auraient pu se pencher sur ses actes d'un peu trop près. Autour de lui, les ombres de sa chambre dansaient selon les gestes butant sous la lumière de la lampe de bureau. Des jouets auxquels il n'avait plus touché depuis des années s'entassaient dans un coin près de son lit, des peluches de bébé dépassant d'un vaste coffre en bois poussé près de l'armoire dont une des portes était ouverte, laissant entrevoir un amas de chemises et de pantalons quasiment identiques. Sur le lit où s'étalait une couette rebondie de couleur claire, à moitié englouti sous des livres de cours jetés pêle-mêle, on apercevait un mp3 couteux abandonné en marche, déversant une musique à la mode, le volume poussé au maximum. Au pied d'une commode en bois, un sac avait été jeté, répandant la moitié de son contenu sur le parquet. Les stores étaient tirés et ne laissaient filtrer qu'un mince filet de lumière retombant sur un tapis d'un rouge passé. Un miroir en pied semblait attendre la venue de quelqu'un, appuyé contre un pan de mur derrière la porte, elle-même ornée d'une affiche d'un groupe de musique passé en concert l'année précédente à Perdido Beach. Sur une petite table de chevet s'empilaient des livres aux titres et aux formats divers qui n'avaient en commun que leur sujet. A coté on avait déposé une photographie aux couleurs ternies représentant un couple qui mangeaient dans un restaurant chic, il y avait des années de cela. La lampe était éteinte, l'ampoule noircie. Elle avait grillé la veille et n'avait pas été remplacée. Dans le bric-à-brac permanent qui constituait cette chambre, on pouvait également repérer une pile de feuilles vierges, un lecteur DVD portable installé sur un coussin bleu, une clé usb posée dans un coin puis oubliée dans la poussière.
    Indifférent au désordre de la pièce, Caine s'efforça d'éplucher un par un les sites internet obtenus sur le sujet qui le préoccupait, n'en épargnant pas un seul, eut-il une apparence insignifiante. Des blogs tenus par des illuminés aux sites scientifiques les plus sérieux, il essaya de dégoter des indices qui pourraient éventuellement l'éclairer sur sa condition. A ce jour, tout ce qu'il avait pu apprendre résidait en un seul mot: télékinésie. Rien d'autre. Et cette conclusion-là, il l'avait obtenu avec sa culture, non avec internet. Comme quoi, la technologie ne répondait pas à n'importe quelle question. Cette certitude se renforça lorsqu'il arriva à la fin de la première page des résultats que lui proposait le moteur de recherche, lequel avait essentiellement sélectionné les sites pour apprendre à devenir télékinésiste -ce qui ne l'aidait pas puisqu'il l'était déjà, ou des bilans sur des pseudo-recherches scientifiques s'étalant sur une dizaine de pages sans tirer aucune conclusion -Caine détestait les gens qui monopolisaient la parole pendant un temps infini pour au final conclure qu'ils n'en savaient rien, que c'était possible mais que finalement peut-être pas. Sans trop y croire, il cliqua sur la flèche menant à la deuxième page, priant pour qu'elle se révèle davantage lucrative. Pendant deux heures il parcourut le web en long, en large et en travers ne récoltant rien d'autre qu'une migraine carabinée. Découragé, il posa ses coudes sur son bureau et se massa les tempes, les yeux mi-clos, déplorant son idiotie. De quelle bêtise il avait fait preuve quand il avait ignoré les imprécations de Finn lui rabâchant que rester longtemps devant l'ordinateur et dans le noir complet allait lui arracher les yeux. Il avait raison, évidemment., mais il ne reconnaitrait jamais ses torts devant lui. Il ferma la page et éteignit le PC avec un soupir. Tant pis, à défaut d'avoir des renseignements concrets sur la cause de son pouvoir celui-ci servait toujours magnifiquement ses intérêts en inspirant la peur et le respect auprès de ses camarades, en particulier auprès d'Irving McLoyd et de sa bande de brutes qu'il avait réussi à mettre à sa botte, remplaçant McLoyd au poste de chef. Ils étaient à sa solde depuis l'accident, exécutant ses ordres par peur des représailles. Caine leur avait bien sûr caché qu'il n'avait pas vraiment le contrôle de son pouvoir, qui se déclenchait un peu au hasard et quelquefois contre sa volonté. Frustré, il passait plusieurs heures chaque semaine à en examiner les possibilités, à s'entrainer, tenter des expériences destinées à cerner sa nature, ses limites. Il s'exerçait sur des objets, parfois sur de petits animaux, occasionnellement sur des enfants qui passaient dans la rue. Dans le dernier cas il se devait de faire très attention, la plus petite erreur étant susceptible de lui apporter son lot d'ennuis. Cependant, ces exercices portaient leurs fruits: petit à petit il se sentait gagner en force. Ajouté à l'influence dont il bénéficiait à l'école, dirigeant un groupe restant perpétuellement à son entière disposition et prête à satisfaire le moindre de ses désirs de gré ou de force, Caine était heureux et fier de son début de réussite.


Le jour de ses six ans, il s'était réveillé à l'aube. Immobile dans son lit, les battements de son cœur s'étaient accélérés lorsque les pas de son père étaient passés devant sa chambre. Le claquement de la porte d'entrée avait retenti au milieu du silence matinal. N'était resté que l'amer goût de la déception.

    Caine courait dans les escaliers, dévalant les marches deux par deux et tentant d'attacher les boutons de sa chemise par la même occasion, la cravate aux couleurs de son collège à la main, son sac jeté dans son dos tambourinant sur ses omoplates. Il faillit manquer une marche et se rattrapa à la rampe comme il le put. Un livre glissa par l'ouverture de son sac et cogna contre le bois, il dut s'arrêter pour le ramasser sur le perron et tomba nez-à-nez avec sa mère qu'il n'avait pas vu depuis des jours. Prise entre ses sempiternelles soirées, les sorties avec son amant et celles où elle s'employait à écumer les boutiques de luxe, Caine ne la voyait presque jamais. Il resta immobile sous son regard inquisiteur et vit sans difficulté l'agacement qui s'y reflétait, comme s'il n'était qu'un inconnu gênant squattant sa demeure sans son autorisation. Caine haïssait ce regard, sa façon de faire comme s'il n'était qu'un intrus échoué là à cause des aléas du destin, comme si elle ne rêvait que de le voir vider les lieux le plus vite possible. Seulement, son attitude de rejet ne s'estompant pas, il s'y était habitué et masquait sa frustration sous le masque de politesse distante qu'il affichait lors de leurs rencontres. Pourtant l'expression de sa mère semblait plus agressive que d'ordinaire, où elle désirait juste se libérer le plus vite possible de sa présence inopportune. Aujourd'hui, alors qu'elle se contentait en général d'une discrète marque de mépris lui signifiant qu'il devait lui débarrasser le plancher, elle s'adressa à lui pendant qu'il finissait de ranger son livre en la détaillant par-dessous sa frange.
    « Tu es en retard. »
    C'était un constat adressé d'une voix froide, aussi inexpressive que les pupilles qui le disséquaient sous leurs faux-cils. Sa mère avait dû être belle, explosive, provocatrice ; elle avait dû faire battre les cœurs au rythme de sa jambe galbée et de son menton relevé. Elle avait une présence particulière. Le garçon, sur la marche supérieure, avait beau la dépasser d'une bonne tête, c'était elle qui le surplombait. Il se ratatina involontairement. Sa relation avec sa mère était spéciale: elle ne s'était jamais adressé à lui autrement qu'avec des mots creux et forcés, en opposition à son père qui bien que plus violent, était beaucoup plus concerné par le devenir de son fils. Caine aurait donné beaucoup pour qu'elle montre ne serait-ce qu'un microscopique signe d'intérêt envers lui, mais elle continuait à vivre comme s'il n'existait pas, comme si elle avait toujours vingt ans et le monde à ses pieds. Elle niait l'existence de son fils et abhorrait se la rappeler. Elle se mit à épousseter sur sa robe une saleté imaginaire.
    « Tu as failli me faire tomber. Vraiment, tu devrais faire attention, Caine. »
    Elle prononçait son prénom avec une froideur telle qu'il devenait difficile d'y prêter attention, elle aurait pu ne mentionner une chaise ou un meuble. Mais en écoutant bien on y décelait une pointe de dégoût cachée qui lui laissait un goût aigre dans la bouche. Qu'elle l'ait un jour modulé avec tendresse était inconcevable ; à ce moment précis, il percevait trop d'aversion dans ces syllabes. Entre cela et le dédain quotidien, le choix était douloureux. Le venin ou les crocs. Le poison ou la morsure. Il ne regrettait pas d'être né, juste aimé exister ailleurs. Il n'échangerait pas ses parents, il demanderait à reprendre son existence du début, avec un entourage étranger, dans un lieu étranger, le plongeant dans des situations qu'il n'avait pas vécues. Ne pas se trouver là en cet instant. La voix de sa mère passa de l'écœurement voilé à un murmure chargé d'amertume, presque inaudible. Les mots butaient sur ses lèvres, s'écorchaient sur la paroi de ses dents, refusaient de sortir sans s'accrocher à sa langue, repoussant la minute où ils devraient se faire réalité. Caine ne parvint pas à les saisir et la seconde d'après, la voix reptilienne refaisait irruption. Elle aurait aussi bien pu parler de ses derniers achats en légumes ou du salaire d'un de ses employés. Sauf qu'elle y mettait moins de bonne volonté, Sauf que sa façon de s'adresser à lui était plus impersonnelle. C'était amer.
    « Qu'est-ce que tu fais planté là? Dépêche-toi d'aller au collège. Tu m'empêches de passer. »
    Il put se retourner vers elle avant de la voir basculer, projetée par une force mystérieuse et invisible, puis s'arrêter brusquement dans les airs et retomber sur le dallage de l'entrée, étourdie et effrayée. Elle bredouilla des mots inintelligibles dévoilant son incompréhension et sa frayeur. Caine, lui, savait ce qui s'était passé. Quand elle leva les yeux vers lui, elle fronça les sourcils et se mit à hurler en appelant Gentiane, un des employés, n'importe qui susceptible de l'aider. Elle n'était pas en mesure de douter de son innocence ; en revanche elle avait un coupable désigné: elle allait l'accuser de l'avoir poussé, dirait qu'il était déséquilibré, feindrait d'être morte de peur. Elle avait un moyen de se décharger de lui et ne se ferait pas prier pour mettre à exécution le plan qui se dessinait dans son esprit. La dernière image qu'il enregistra fut celle de cette femme censée être sa mère, accrochée à la rampe ainsi qu'à une bouée de sauvetage, incapable de se relever seule pendant qu'un Herbert irrité marchait vers les lieux, alerté par les cris. La petite cicatrice sur sa nuque le brûlait. Le jour où il s'était blessé à cet endroit, ce n'était pas sa mère qui l'avait ramassé. On lui avait annoncé que son fils s'était fait mal en jouant, et elle avait haussé les épaules en sirotant son thé parfumé, semblable à une reine de glace.

    Autour de lui régnait une odeur alliant crasse, charogne et parfum capiteux qui adhérait à la peau, y formant une fine tranche gélatineuse et indécelable. Il pouvait presque la sentir pénétrer ses vêtements, les imprégner de la misère de l'impasse. Les maisons entourant la rue donnaient constamment l'impression de chuter, le mur qui y mettait fin dardait ses ombres lugubres sur les occupants illégitimes de sa ruelle. Parfois une brique se détachait et tombait, et de la terre poudreuse flottait dans l'air à proximité. L'ensemble dégageait une atmosphère de grisaille qui prenait à la gorge, transperçait les poumons. La ruelle était un monde sans couleurs, intemporel et isolé. Les hommes et les femmes qui y pénétraient prenaient automatiquement ces caractéristiques et devenaient aussi insipides qu'elle, revêtant l'allure d'âmes errantes et fantasmagoriques. Les passants normaux évitaient cet emplacement, ayant soin de faire un large détour pour passer devant, en écartant leurs enfants qui, dans leur innocence, seraient partis à l'aventure dans cet matérialisation du sordide, nullement découragés par le silence qui y régnait. Si palpable et si assourdissant. Un de ceux qui brisaient les avancées et dressaient le duvet invisible du cou. Un silence dérangeant. Caine ramena ses jambes sous ses genoux en percevant un grattement près de sa cheville droite. Il n'avait pas vu de rats depuis qu'il était arrivé ici mais il restait persuadé que des centaines de ces bestioles y vivaient, se déplaçant sur sa tête, se glissant dans son cou, s'insinuant sous son pantalon lorsqu'il réussissait à s'assoupir. Pourtant, en se réveillant il ne voyait aucune silhouette grasse et répugnante se dandiner sur lui. Son regard passa négligemment sur son corps étendu sur le sol, empêtré dans un manteau terne et trop grand. Il avait retiré les éléments de son uniforme qui le rendaient facilement reconnaissable, par exemple sa veste avec l'écusson, sa cravate. Il avait volé le manteau sur un étalage de marché. Il avait failli se faire prendre, pourchassé par un vendeur furieux et ralenti par des acheteurs épris de justice. Il n'avait jamais couru aussi vite. A coté de lui reposait sa besace contenant les affaires de cours auxquels il n'avait pas assisté. Se réveillant péniblement du demi-sommeil qui l'avait emporté, il détailla les occupants qui partageaient la ruelle avec lui et commençaient à remuer. Des clochards et des ivrognes, pour la plupart -pour ne pas dire la totalité. Il ne connaissait pas leurs noms et ne désirait pas s'approcher d'eux, excepté un seul, Antarès, qu'il utilisait pour lui ramener à manger et le prévenir des éventuels dangers, notamment en la présence d'agents de police à sa recherche. Il avait repéré ce mendiant après deux jours d'observation. Grand et très maigre, on ne distinguait plus la teinte de ses cheveux emmêlés sous la crasse qui les recouvraient, mais ses pupilles brun électrique savaient adoucir les promeneurs et attirer la pitié par leur beauté. C'était son atout principal. Charismatique sans être malin, il arrivait parfois à se faire inviter par de jeunes femmes délurées chez qui il prenait une douche, moyennant compensation. De la communauté, il était le plus lucide, celui qui buvait le moins et se laissait le moins assombrir par la dépression qui avait cours, autant de qualités qui avaient attiré l'intérêt de Caine et l'avaient désigné comme son protecteur inconscient. Il s'était progressivement rapproché de lui et le tenait sous sa coupe, jouant de mimiques pitoyables et de geignements étouffés mais calculés avec soin. Antarès croyait donner la charité à Caine, c'était Caine qui l'y forçait. Seulement il ne le réalisait pas. Sous sa protection, il parvenait à survivre depuis deux semaines. Ses parents, sûrement sur ordre de son père, avaient placardé des affiches donnant son signalement et l'adresse où appeler au cas où des passants l'apercevraient. En leur for intérieur, ils devaient espérer qu'un voyou lui ait réglé son compte vite fait et que l'on retrouverait son corps dans un fossé d'ici une poignée de semaines. Ainsi, ils n'auraient plus à leur charge d'un enfant dont ils ne voulaient plus.
    Il était parti de chez lui dans le tumulte suivant la découverte de sa mère en mauvaise posture, abrutie par sa chute mais toujours aussi virulente. Il était passé devant eux en douce, ne prenant pas la peine d'emporter d'affaires en particulier et s'était glissé dehors avant d'emprunter une rue au hasard. Rien n'avait été prémédité. Coincé entre une demeure où il n'avait pas envie de revenir et l'inconnu, il hésitait. Il avait marché pendant une heure, l'esprit embrouillé par ses idées et les projets qu'il balayait d'un geste de main fictif une poignée de minutes après. Au final, il avait pris une ligne de bus perdue qu'il avait trouvé sur le plan de la compagnie, puis acheté un ticket de train pour la destination la plus lointaine possible. A l'abri dans un wagon qui l'enveloppait d'une douceur somnolente, il avait mis au point l'histoire qu'il se devrait de raconter sans se tromper si on venait à lui poser des questions sur sa présence. Il allait chez sa tante à New York pour l'enterrement de sa grand-mère, ses parents le rejoindraient le lendemain car ils avaient des choses à régler chez eux. En l'élaborant, Caine pensa à la distance qui s'étendait entre lui, ses parents et sa famille. Les parents de son père étaient morts, sa mère ne supportait pas sa sœur et évitait d'aller la voir, elle et ses géniteurs. Holden et Annabelle s'étaient isolés dans leur univers personnel à Perdido Beach, se satisfaisant de leur contacts hypocrites et de leurs relations superficielles et passant le virus à leur fils unique. Caine n'avait pas d'amis proches et c'était d'autant plus valable que, depuis qu'il contrôlait la bande de McLoyd, ses camarades le craignaient. Dans le compartiment surchauffé malgré la chaleur, il s'amusa à monter le scénario de sa mort. Il s'imagina mourant dans un tragique accident de train, et sa vision basculer, et les images à l'envers et le paysage devenir flou. Il vit le sang s'agglutiner contre les murs de velours, sentit un os craquer sans qu'il ne sache si c'était l'un des siens ou l'un de ceux des passagers à coté de lui. Était-ce la colonne vertébrale de la vieille femme à sa gauche qui dégageait une désagréable odeur de fromage, de chien et de pain grillé? Le bassin de l'homme en face qui ne cessait de se moucher? Ou du jeune homme près de la porte, à l'allure d'étudiant et à la chevelure blonde retombant en bataille sur ses épaules? Caine se demanda si on pleurerait à son enterrement. Ses parents s'en fichaient, mais ses grand-parents souffriraient peut-être de perdre leur petit-fils. Ses camarades de classe seraient choqués, la bande à McLoyd soulagés. Celle qui aurait véritablement du chagrin serait Hellébore, à leur service depuis son enfance et semblant s'être attachée au gamin capricieux qui courait dans ses jambes pendant qu'elle nettoyait la salle à manger. Paradoxalement, et malgré le fait qu'elle s'occupât fidèlement de lui depuis des années, il se fichait de l'affection qu'elle pouvait lui porter, tant que ceux dont il désirait l'estime ne la lui auraient pas accordé. Cela lui avait suffit un moment, mais a vérité c'était qu'il tendait vers l'amour parental sans qu'on daigne le lui donner. Hellébore lui vouait un attachement qui s'y apparentait, et c'était pour cela qu'il le repoussait. Il ne voulait pas d'un fac-similé, il voulait un vrai amour de la part de son père et de sa mère. Les gestes qu'Hellébore avait pour lui ne faisaient que retourner le couteau dans la plaie. Puis sa vision s'était stabilisée et il avait sourit. Peu importait. Il allait façonner son futur lui-même. Sa fugue n'était pas préméditée mais elle s'avérait être une judicieuse opportunité pour se libérer de l'emprise familiale et façonner sa propre autorité. Il resterait caché quelque part jusqu'à ce que les recherches lancées pour le ramener s'amenuisent puis disparaissent. Ensuite, il trouverait un moyen de se créer au noir une nouvelle identité d'orphelin pour finir ses études, qu'il projetait brillantes, et arriver à son empire commercial, sa réussite, sans l'aide de personne. Ses capacités intellectuelles et son pouvoir l'aideraient. Il devait juste faire preuve de prudence et de discernement.
    Ainsi il se retrouvait, deux semaines après, dans la crasse et la boue en attente d'une opportunité. Une fois qu'Antarès lui aurait fourni de faux papiers d'identité, il se couperait les cheveux et les teindrait, modifierait son maintien, sa façon de parler et sa gestuelle afin de passer inaperçu. Il se redressa lentement et s'assit en tailleur, son dos raclant le mur derrière lui, la poussière terne se déposant sur son pull déformé. Il s'emmitoufla dans la couverture mouillée de la rosée gelée du matin, formant autant de petites perles sans éclat privées du rayonnement du soleil, et se prépara à affronter l'ennui de l'inaction.

    Les contours des obstacles se découpaient en ombres chinoises sous le mince ruisseau de lumière qui perçait à l'entrée de l'impasse, formant des monstres de papier aux traits indistincts. De là où il était, Caine reconnut la démarche claudicante d'Antarès qui se tenait en retrait, hésitant. Il crut le voir se tordre les mains nerveusement mais il aurait pu mal interpréter les masses brumeuses qui gigotaient au niveau de son ventre. A coté de lui, des hommes s'agitaient, relevant les ivrognes écroulés sur le sol pour découvrir leurs traits, en embarquant quelques-uns sur des critères que le jeune homme ne cernait pas. Il se rencogna dans l'angle formé par les murs du fond, renfonça son cou entre ses épaules de sorte que l'on ne vit plus que le haut de son crâne dépasser du col de son manteau. Il osa à peine relever les yeux vers la policière lorsqu'elle se pencha vers lui, puis le força à se relever, l'emportant vers la camionnette. En débouchant à l'orée de ce qui avait été son refuge, il tenta de s'échapper par la droite car la femme l'avait lâché en voyant qu'il n'opposait pas de résistance. Des mains sorties de nulle part se chargèrent de le faire monter dans le véhicule, l'emportant vers le commissariat d'où l'on appellerait ses parents, histoire qu'ils viennent le chercher. Il prévoyait sans se tromper que ce ne serait pas eux qui viendraient, mais un de leurs employés à qui ils donneraient la corvée avec un reniflement ennuyé. Il avait essayé de parlementer avec les forces de l'ordre pour qu'ils le laissent en paix, sans résultat. Ses manœuvres de séduction et ses beaux discours n'avaient pas eu de prises sur eux. En fait, il n'était même pas sûr qu'ils l'aient écouté. Étalé sur un banc dans le commissariat, ses occupants s'éloignant de lui par un instinct de conservation insensé, Caine balançait ses jambes d'avant en arrière comme un petit enfant. Antarès l'avait dénoncé. Il ne savait pas comment, ni pourquoi. A vrai dire il s'en fichait. Seul importait le fait qu'il allait être obligé de réintégrer la maison familiale.

    « Si tu me fais encore honte à ce point Caine, sache que je n'aurais aucun scrupule à te faire disparaître définitivement. »
    La figure rouge de colère de son géniteur se tenait à deux centimètres de la sienne, ses doigts ridés et rabougris à une distance minime des siennes, posées avec calme sur l'accoudoir, presque avec insolence. A cette distance, il était capable d'observer les narines de son père battant à un tempo régulier sous l'effet de la colère. Pourtant, les intonations de sa voix étaient paisibles ; on aurait dit qu'il ne faisait que parler d'un désagrément minime dont il n'avait que faire. Le contraste entre son attitude et la façon dont il assénait ses avertissements était saisissants. Hors de lui, il se mit à faire les cent pas dans son bureau, la moquette s'aplatissant et s'arrondissant au fil de ses allées et venues. Caine trouvait plus fascinant la manière qu'avaient les objets de réagir aux mouvements de son père que ses remontrances. Comme si son cerveau était à présent déconnecté de la réalité. Il était arrivé il y avait deux heures, ramené par Herbert, le jardiner -qui n'était d'ailleurs pas ravi d'avoir été désigné pour effectuer le trajet- avait pris un bain et enfilé des affaires propres. Le contact du tissu soyeux lui était étranger après les semaines passées dans des vêtements enveloppés d'une couche de saleté graisseuse. Les récriminations boudeuses de Gentiane avaient résonné bizarrement à ses oreilles pendant qu'elle vérifiait s'il n'avait pas de poux coincés entre deux de ses mèches sombres. Maintenant, les réprimandes de son père glissaient sur lui autant que si elles ne lui étaient pas adressées. L'homme qui lui faisait face revint brusquement à son point de départ en abattant ses grosses paumes de chaque coté de son corps. Caine sursauta.
    « Avec Annabelle, nous avons réfléchi et nous en sommes venus à la conclusion que nous devions prendre des mesures vis-à-vis de ton comportement. »
    Il appelait toujours sa femme par son prénom. Il ne disait jamais ''ma femme'' ou ''ta mère'', il avait l'air de nier les liens officiels qui l'unissaient à elle. Il n'était pas chez lui la plupart du temps, ignorait la moitié de ce qu'étaient les membres de sa maisonnée, de leur caractère ou de leurs habitudes. Il se contentait de vérifier que son épouse avait à peu près une conduite convenable, passant sur le fait qu'elle entretienne un amant à partir du moment où le bruit ne se répandait pas qu'il était cocu. Si cela contentait sa femme sans qu'elle ne fasse pas d'éclats, il tolérait. Cependant, depuis le départ de Caine la rumeur creusait son trou dans les fondations de la demeure et dans le voisinage, colportée par les récents débordements. On chuchotait que la dame riche de l'avenue des Roseraies avait un amant, avec qui elle avait eu une violente altercation et qu'elle avait quitté, se jetant aux pieds de tout être vivant pourvu d'abatis masculins afin de le remplacer dans de brefs délais. Passa environ une semaine avant que l'amant en question ne revienne auprès de sa maitresse la tête basse et que leur relation ne reprenne. Au final, elle avait fait beaucoup de bruit pour pas grand chose et Caine se doutait que son père allait sévir près d'elle, mécontent de son manque de discrétion. Il y avait possibilité que la réconciliation soit avortée sous peu. Il en ressentait une jubilation égoïste qui lui brûlait l'estomac. Il estimait que les potins expliquaient l'agressivité de sa mère à son égard ce matin-là. Elle devait avoir eu besoin de se défouler, d'expulser son chagrin. Bien qu'il n'aimât pas concevoir qu'elle puisse éprouver du chagrin pour qui que ce soit, se sentant découragé à l'idée qu'elle soit apte à faire montre d'attachement envers quelqu'un sans en avoir pour lui. Il aurait préféré qu'elle soit indifférente à tout, cela aurait expliqué son comportement vis-à-vis de lui.
    « Nous ne pouvons plus te garder ici après les problèmes que tu nous as causé. Tu vas poursuivre ta scolarité dans un établissement spécial, le pensionnat Coates. Tu ne rentreras ici que pour les vacances. »
    Holden se redressa sans le quitter des yeux, glissa une main dans la poche du pantalon de son costume impeccablement repassé et en sortit un étui à cigarette qu'il ouvrit d'un coup le sec. Le métal du couvercle claqua sur celui du boitier et se répercuta à travers la pièce. Avec un clignement de paupière adressé à Caine et le prévenant qu'il ne tolérerait pas d'objections, il ouvrit son briquet qui charria une flamme jaune et bleue, venant lécher l'embout de la cigarette. Avec des mouvements méticuleux, calculés pour lui allouer un tour élégant, il lança le briquet finement ciselé en l'air et le rattrapa d'un moulinet assuré avant de le laisser tomber dans sa poche. Caine aurait presque pu entendre le bruit qu'il avait fait en atterrissant au fond du vêtement. Mais cela ne l'affectait pas. Ce qu'il voyait, c'était qu'on lui offrait la porte de sortie à laquelle il aspirait sans qu'il ait rien demandé. Ce qu'on lui avait refusé en interrompant son départ, on le lui accordait avec un congédiement là où personne ne le surveillerait -ou si peu, il était tellement facile de déjouer la vigilance du corps enseignant et administratif des écoles. Il retint le sourire victorieux qui bataillait pour s'emparer de sa bouche. La pointe de rancœur blessée qui lui soufflait qu'on se déchargeait de lui ne parvint pas à effacer sa joie.
    « Et tu as intérêt à te tenir à carreau là-bas, sans quoi je devrais intervenir. C'est compris? »
    Un geste rapide de la main lui fit comprendre qu'il devait s'éclipser et laisser son père seul. Il ne se fit pas prier et s'exécuta, gardant un pas mesuré jusqu'à la porte en un ultime défi, comptant les enjambés qui le séparaient de la sortie. Le parquet grinçait en rythme sous ses chaussures. Dans l'obscurité du couloir mal éclairé, il se retourna vers l'intérieur de la pièce. Son père sortait une deuxième cigarette en lissant un papier, une expression hostile imprimée sur sa figure..

Un jour il avait demandé à Babeth pourquoi son père ne l'aimait pas. Elle l'avait regardé un instant et n'avait rien répondu. Il n'avait plus posé la question.

    La salle de classe était vide, les chaises rejetées en désordre derrière les bureaux formaient une forêt inquiétante de bras de ferraille jaune. Soudain, rompant la tranquillité assoupie des lieux, la porte s'ouvrit en grinçant, révélant un grand garçon de douze ans qui tirait une gamine chétive derrière lui. Tenant une pile de livres pressée sur son torse, il abandonna la fille, qui s'assit sur une table près du mur séparant la classe du couloir, silencieuse et attentive. Ses yeux graves, un peu moqueurs, suivirent la progression de son compagnon quand il installa les livres sur une table près de la fenêtre, à un endroit opposé à celui où elle s'était elle-même assise. Caine alla ensuite se poster au fond de la classe, près d'affiches vieillottes à l'effigie de la Statue de la liberté et autres monuments historiques célèbres et leva simplement les paumes. Le livre situé en haut du tas un instant plus tôt se retrouva entre ses bras. Il se tourna vers l'autre avec un sourire triomphant.
    « Tu vois, c'est comme je te l'avait dit. Je peux déplacer les objets sans les toucher. »
    Il déposa le volume par terre et un autre vint automatiquement le remplacer, puis un autre, jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien sur la table. La fille ne disait rien. Elle observait, attentive. Caine était placé à coté d'elle, Diana, en cours de mathématiques et d'anglais. Elle n'avait pas décroché un mot en sa présence depuis le début de l'année mais Caine était fasciné par elle, ses boucles noirs et son sourire arrogant. Aujourd'hui, alors qu'il laissait son esprit vagabonder en faisant semblant d'écouter ce que disait le professeur, il avait laissé son pouvoir remonter à la surface. Une seconde plus tard, la gomme près de la trousse se réfugiait au creux de sa paume sans qu'il l'ait touchée. Il avait frémi au contact poisseux et rêche, refermé ses doigts sur l'objet, s'était tourné vers sa voisine. Elle le regardait, imperturbable. Seulement, au fond de ses prunelles s'était pour la première fois allumée une frêle lueur d'intérêt. Le cœur de Caine avait fait un bond dans sa poitrine et il s'était penché vers elle, lui confessant dans un murmure fébrile ses aptitudes particulières. Elle avait saisi son poignet, étirant un coin de sa bouche en ce qui aurait pu être un sourire. Ses chuchotements étaient venus se mêler aux siens. « Tu me montrerais ce que tu sais faire? » Oui, bien sûr. Il lui montrerait tout ce qu'elle voudrait. Pourquoi pas après les cours? Il suffirait d'aller dans une salle inoccupée. Il avait hoché de la tête, elle s'était éloignée de lui, à son désarroi. Le léger parfum qu'elle laissait dans son sillage s'était envolé. En sortant du cours, Caine aurait été incapable de dire de quoi celui-ci avait parlé.
    « Moi aussi, il y a quelque chose dont il faut que je te parle. »
    Caine se rapprocha d'elle, se hissa sur la table à ses cotés, un pan de sa veste d'uniforme battant la cuisse de Diana. La jeune fille marqua un arrêt avant de se lancer, consciente de l'attention qu'il lui prodiguait et savourant sa supériorité momentanée. Elle lui dit qu'elle était capable de savoir si quelqu'un avait un pouvoir et quelle était sa puissance rien qu'en le touchant. Devançant sa question, elle ajouta qu'il avait lui-même quatre ''barres'', ainsi qu'elle les appelait, et détenait le plus haut quota qu'elle ait recensé à ce jour au pensionnat. Il ressentit une vague de chaleur remonter dans sa gorge à cette idée. Puis un autre aspect des faits traversa son cerveau en un éclair fulgurant.
    Il y en avait d'autres. Voilà qui élargissait considérablement son champ de possibilités.

    Les vagues venaient régulièrement lécher la coque du bateau avec des bruits d'éclaboussures et projetaient des gouttelettes par-dessus le bastingage. Le vent soufflait. Des mouches bourdonnaient autour d'un seau d'une couleur jaune agressive, d'autres collaient au fond du récipient en un résidu peu ragoûtant. Caine s'ennuyait. Il poussa un soupir et envisagea un bref instant de laisser tomber sa canne à pêche dans l'eau en faisant croire à un bête accident. Au lieu de ça, il entreprit de remonter la ligne à l'aide de la petite moulinette montée sur le coté de l'objet, fixant le fil transparent avec espoir. S'il prenait un poisson, il aurait le privilège de s'éloigner et de bouger Il s'ennuierait moins l'espace de deux minutes, cinq s'il ralentissait considérablement ses mouvements tel un grand-père arthritique. Du coin de l'œil, il aperçut son père et deux adultes qui parlaient avec sérénité, accoudés négligemment à la rampe de métal tels des vacanciers détendus. En réalité, ils devaient discuter affaires avec sérieux et égoïsme, cherchant à obtenir le marché le plus avantageux pour eux au mépris de leurs confrères. Pour donner l'apparence d'une réunion amicale à leur duel de requins sanguinaires, ils s'étaient sentis obligés d'y emmener leurs rejetons -ce dont les rejetons en question se seraient bien passés- en improvisant une partie de pêche sur un bateau d'une blancheur immaculée. La mère de Caine n'avait pas été convié aux festivités et était partie faire du shopping dans la capitale du Mexique, où ils passaient leurs vacances.
    L'embarcation dans laquelle ils évoluaient respirait un luxe discret mais net, depuis les fauteuils de cuir rouge disposés dans les cabines jusqu'aux cales récurées de fond en comble. Le pont brillait sous le soleil de plomb, ou sous l'eau qui s'y était répandu, difficile de le dire. A coté de lui, un ou deux mètres plus loin, se tenaient deux adolescents. Ils étaient les enfants respectifs de chacun des deux hommes d'affaire qui traitaient avec le père de Caine. Le premier d'entre eux se nommait Paolo. Ses deux ans de plus déteignaient sur lui: Il était grand et voûté, comme s'il ne parvenait pas à assumer sa taille et cherchait à se replier sur lui-même. Pourtant, il dardait sur le monde un regard à la fois blasé et cynique qui laissait à penser que le garçon était conscient de sa prétendue supériorité sociale. Il était italien, ainsi qu'en témoignait son teint halé, ses cheveux sombres et son accent chantant qui s'éternisait sur les consonnes. Il avait de belles mains développées et rugueuses ; elles devaient être chaudes au toucher. Adossé contre le mur qui entourait la cabine de pilotage, il avait laissé sa canne à pêche étendue par terre, semblant se soucier comme d'une guigne de ne pas obéir aux directives de son père. Depuis le début, il ne cessait de regarder droit devant lui d'un air morne, s'arrêtant de temps à autre sur la deuxième personne qui les avait accompagnés. Celle-ci, une jeune fille de bonne famille, était assez petite mais très mince, sa poitrine formant à peine plus d'une petite bosse pointant sous son tee-shirt, ses hanches étroites juste révélées par un repli de son pantalon au niveau de sa taille. Elle aurait pu être jolie mais possédait un visage disgracieux qui disparaissaient sous les taches de rousseur et faisait ressortir ses yeux globuleux d'un vert pur. Elle était rousse et sa chevelure relevée en queue de cheval, pour éviter qu'elle ne lui donne trop chaud en retombant sur sa nuque, descendait jusqu'à ses épaules maigrichonnes. Elle avait l'expression mutine et cruelle des gamines à qui on a passé chacun de leurs caprices durant leur enfance et qui ont l'habitude qu'on leur obéisse sans opposer de résistance. Enfin, le détail qui avait passablement choqué Caine était qu'elle s'appelait également Diana. Il se demandait comment deux créatures portant un prénom identique pouvaient être aussi différentes l'une de l'autre. Sa Diana de Coates était aussi jolie et rusée que celle-ci paraissait vulgaire et directe. Il soupira. Vivement que se finissent cette comédie qui n'avait rien de convivial et lui inspirait une envie acide à mi-chemin entre ricaner ironiquement et s'enfuir en courant.
    Comme si penser à elle l'avait subitement poussée à s'animer telle une marionnette de carnaval, la Diana du bateau s'approcha de Paolo et lui parla à voix basse avec animation. Ce dernier hocha la tête en signe de consentement et, satisfaite, elle se tourna vers Caine et marcha vers lui d'un pas assuré et conquérant, le menton relevé. On aurait dit qu'elle allait lui offrir une libération dont il lui aurait été à jamais redevable, ou un cadeau prestigieux auquel n'avaient droit qu'une poignée de privilégiés et dont elle avait décidé de le faire bénéficier. Elle s'arrêta près de lui, ses mèches presque rouges voltigeant dans l'air, serpents marins retournés à leur liberté.
    « Ça te dirait de t'amuser un peu? »
    Sa voix était chaude et agréable, ses inflexions basses et ornées, très aristocratiques. Elle était élégante. C'était une belle voix. Caine opina et posa la canne à pêche contre le rebord. Elle bascula à terre et il la laissa là. Après tout, ce que Diana avait à lui proposer serait difficilement pire que la pêche en solitaire dans une chaleur impossible. Il la suivit dans un espace étroit où s'entassaient ancre, cordage et matériel maritime. Il y faisait sombre et humide, le plafond sécrétait un liquide visqueux qui tombait sur le sol à coté d'un bout de ferraille rouillé, avec un bruit mouillé se répercutant dans l'atmosphère de la pièce exiguë. Paolo était adossé au fond et les attendait, à en juger par le petit geste d'impatience quand il les vit lentement entrer. Ils s'assirent en demi-cercle, Caine avec les mains posées sur ses genoux, en tailleur, Paolo les jambes remontées contre sa poitrine, Diana avec les pieds sur le coté, en une posture élégante et inconfortable. Riant doucement, elle sortit un joint de sa poche et l'alluma après avoir adressé un sourire vantard à Paolo, le narguant. Elle l'alluma et tira un coup dessus, répandant une fumée à l'odeur âcre à l'intérieur de l'abri, puis le tendit à l'italien avec une moue interrogatrice. Caine l'entendit lui répondre quelque chose qui devait ressembler à un ''No problem'' marmonné dans un anglais approximatif, avant qu'il n'imite Diana et ne le passe à Caine. Celui-ci fixa un court moment le tuyau d'herbe qui répandait son odeur partout, s'interrogeant sur le bien-fondé de ce qu'il se préparait à faire -entre les campagnes de publicité à la télévision et les interventions de spécialiste au pensionnat qui répétait en boucle que la-drogue-ce-n'était-vraiment-pas-bien-ne-commencez-jamais-même-un-joint comme si on les avait lobotomisés, il avait des scrupules- mais finit par le coincer entre ses lèvres en haussant les épaules. Il se retint de tousser, craignant d'engendrer une quinte de toux difficile à réprimer. Devant lui, Paolo s'approcha de Diana, passant un doigt tentateur contre sa cuisse, une bouche sur son cou parsemé de minuscules taches cuivrées, et tentant de remonter jusqu'à ses lèvres. Elle le repoussa sans ménagements en tournant la tête vers le coté opposé. Paolo se leva avec l'excuse pitoyable d'aller chercher à manger pour cacher l'avortement honteux de sa tentative de flirt. Dès qu'il eût refermé la porte en fer, qui claqua en provoquant un raffut assourdissant, Diana se rapprocha de Caine avec une lueur lubrique au fond des prunelles et commença à frotter sa jambe contre la sienne. Caine se prit à se féliciter d'avoir revêtu un pantalon. Ne s'arrêtant pas là, elle se pencha vers lui pour que sa joue se pose contre la sienne, dessina le contour sa mâchoire avec le creux de sa paume et chercha à coller ses lèvres contre les siennes. Il sentit un bout de langue se darder, la pointe effleurant sa lèvre inférieure, et plia son bras devant lui pour arrêter la progression de la fille avant de la pousser en arrière. Il était intimidé par les avances de Diana, bien qu'il n'en laisse rien paraître, mais surtout il n'avait pas envie de se livrer à ce genre d'exercices avec elle. Elle n'était pas attirante. Pas pour lui. Il se demanda ce que Paolo appréciait chez elle. Il s'était peut-être laissé aller à ses instincts simplement parce qu'elle était de sexe féminin et portait une jupe un peu moins longue que la moyenne. Caine s'écarta d'elle et reprit une position décontracté, espérant qu'elle ferait comme s'il ne s'était rien passé. Elle en avait décidé autrement.
    « Oh, tu me trouves trop bien pour toi c'est ça? » siffla-t-elle.
    Elle avait plissé les yeux et essayait de se détendre mais Caine lisait en elle la colère qu'il ne l'ait pas acceptée. Elle ne ressentait aucune douleur, simplement les effluves de sa dignité blessée qui lui refusait d'être mise sur la touche par quiconque. Elle arborait un rictus qui se voulait moqueur et n'était que crispé. Il l'enlaidissait. Avec lui, son visage avait l'air de se ratatiner et devenait aussi rond qu'un fromage de Hollande ; l'obscurité du lieu ne la rendant que plus pâle.
    « C'est toi qui le dis. »
    Il s'efforça d'adopter un ton détaché. Ses paroles devaient glisser sur lui sans arriver à le déconcentrer. Il la regarda dans les yeux. Elle ne se démonta pas. Il se demanda pourquoi. Puis il comprit.
    « Tu sais quoi? Ton père a besoin du mien. Qu'est-ce qui se passera si je raconte à mon père que tu m'as forcée à fumer de l'herbe? Ton père perdra son marché et il te le fera payer. »
    Il vit le triomphe suinter à travers l'attitude de Diana, le triomphe de ceux qui sont sûrs d'arriver à leurs fins. Elle pensait avoir trouvé le moyen de le faire ployer en invoquant son père. D'un coté, elle avait raison, si le marché échouait à cause de lui, nul doute que son père lui ferait sentir à quel point il lui en voulait. Que ce soit physiquement ou psychologiquement, il le sentirait passer. Il imaginait les privations qui pleuvraient sur lui si jamais cela devait arriver. Seulement, il doutait que Diana aurait le cran de faire une chose pareille. Pour que le père de cette fille accepte de traiter avec le sien, le marché devrait être avantageux des deux cotés, et son père ne lui pardonnerait pas non plus un écart. Elle ne lui dirait pas. Elle n'irait pas raconter sa petite histoire montée avec soin parce qu'elle aurait peur de sa réaction. Caine rit. Il n'avait pas de craintes à avoir.
    « Vas-y.
    - Je vais me gêner!
    - C'est ça. Va lui dire. »
    A son corps tendu et à ses doigts furieusement crispés sur sa jupe imprimée de fleurs colorées, il sut qu'il avait visé juste. Effectivement, il n'eût pas d'échos de cette histoire. Il comprit alors quelque chose d'important sur lequel il allait adapter sa ligne de conduite: ce n'était pas les autres qui étaient capables de le piéger, mais sa propre peur. Il en déduisit qu'il lui fallait l'ignorer et agir avec audace, sans crainte des conséquences. De cette manière, il viendrait à bout des obstacles qui se mettraient devant lui.

    L'eau chaude traçait des rigoles sur sa peau nu et grouillait bizarrement, de sorte qu'elle semblait constituée de milliers d'organismes vivants et liquides qui se contorsionnaient, s'éloignaient, se rejoignaient, progressaient sur sa poitrine et sur ses hanches avec l'aisance des créatures inhumaines. Une goutte traça un sentier en travers de son cou, abordant un écart quand elle passa sur les bords de sa cicatrice. Une autre glissa le long de sa jambe. Le jet rebondissait entre ses omoplates, dessinant un cercle invisible au centre, tel une marque sacrilège sur une pierre sacrée. Caine empoigna la bouteille de gel douche et en versa au creux de sa main, passant en revue les événements de ces dernières semaines, le groupe de mutants qu'il travaillait à former, sa quête d'autorité et le recrutement de sujets efficaces et dévoués. Un sourire fugace éclaira son visage. Drake était efficace, lui. Il était violent et sans arrière-pensées, n'hésitant pas à se servir de sa force. Dévoué, cela restait à voir. Il devait lui offrir un appui, lui faire miroiter ce qu'il pourrait acquérir. Drake n'était pas un de ceux qu'il dominait, ces enfants naïfs et innocents à qui il servait des discours creux. Non, Drake était un de ceux avec qui il traitait, à qui il devait offrir pour qu'ils restent près de lui. Et il avait besoin de Drake. La première fois où il l'avait croisé, c'était totalement par hasard. Il avait accompagné Diana chercher un livre dans son casier, bien qu'elle lui ait fait comprendre qu'elle n'avait pas besoin qu'il la suive. Appuyé contre le casier à coté du sien, les bras croisés sur sa poitrine, il s'était légèrement décollé de la paroi métallique en entendant le raffut que provoquait deux élèves semblant se disputer -ou plutôt, l'un semblait prêt à démolir l'autre. L'un faisait une tête effrayée, mais c'était le second qui intéressait Caine. Les cheveux blond-roux, les sourcils froncés et colériques, il devait plus ou moins avoir le même âge que Diana et lui. Il était impressionné par la scène, électrisante. Et il avait compris qu'il devait s'attacher ce garçon, qui, en opposition à la passivité de Diana et à sa propre manipulation discrète, représenterait dans leur groupe l'ombre intimidante d'une violence brut et palpable. Le brun avait sourit. Il venait de dénicher la pièce manquante de son organisation.
    Caine souffla sur une bulle de savon qui grossissait entre ses doigts. Plus tard, il avait appris le nom du garçon, Drake Merwin. Pour l'avoir à ses cotés, il avait fait pour lui ce qu'il faisait régulièrement pour Diana: humilier ses opposants, ceux qui la gênaient ou l'embêtaient. Il se souvenait de la fois où elle lui avait dit que le prof de Sciences l'avait emmenée dans un laboratoire désert pour la toucher. Il faisait ce qu'elle lui demandait sans rien attendre en retour, excepté qu'elle reste à ses cotés pour le seconder. Le prof de Sciences s'était retrouvé à l'hôpital après ce qui avait été officiellement une chute dans les escaliers du pensionnat. D'autres fois, des filles qui avaient traité Diana de gourgandine -en moins poli- avaient trébuché sur leurs lacets et s'étaient étalées de tout leur long en plein milieu de la cantine. Un garçon qui l'agaçait par ses demandes insistantes s'était vu assommer par un des panneaux d'affichage du Hall qui s'était effondré sur lui alors qu'il passait en dessous, le prof de maths qui l'avait collée n'avait pas pu manger pendant plusieurs jours parce qu'à chaque fois qu'il désirait prendre son assiette, celle-ci s'éloignait d'une dizaine de centimètres, hors d'atteinte. L'occasion d'attirer Drake dans ses filets s'était présentée en cours de sport, deux semaines auparavant. Caine détestait le sport. Il était assis sur un gradin du premier rang, en face des abrutis qui pensaient que plus ils frapperaient fort dans le ballon, plus ils obtiendraient de crédit auprès de leurs condisciples. Un coude posé sur le banc supérieur, il releva les yeux avec intérêt en entendant le professeur appeler Drake avec rage. Il sourit au garçon pendant que les vociférations retentissaient une deuxième fois sur le terrain et afin de montrer à Drake qu'il était l'auteur de ce qui allait se passer, il fit glisser son regard de l'homme jusqu'à lui avant de lever le bras en un geste ostentatoire, comme s'il s'étirait. Aussitôt, le prof fut éjecté en arrière sur plusieurs mètres, atterrissant sur le dos, les pieds en l'air et la bouche ouverte en une expression ahurie. Sans attendre, sa fierté atteinte se transformant en cris dépréciateurs, il se releva d'un coup et reprit sa tache initiale en apostrophant ses joueurs à tout bout de champ, en oubliant Drake. Caine vit avec plaisir Drake s'avancer vers lui et déclencher la rencontre qu'il attendait avec une simple question: « Qui es-tu? » Caine saisit sa main sans se départir de son sourire et la serra en guise de bienvenue, sans émettre un son. Puis il lui expliqua, avec les mots destinés à le faire adhérer à ses actes, ce qu'il attendait de lui, en quoi il lui était indispensable et les avantages qu'il en retirerait. Il le convia à une de leurs réunions qui avaient lieu le soir, en cachette du personnel. Il était venu.
    Caine s'essuya avec la serviette qu'il avait posé sur le crochet près de la porte, massant ses mèches avec lenteur tandis qu'il continuait à réfléchir. Il enfila son uniforme, noua sa cravate avec soin, lissa le bord de sa veste aux couleurs de Coates. Un sourire faussement amical collé sur ses lèvres enfantines, il sortit dans le couloir. Il observa avec plaisir certains élèves s'écarter sur son passage.


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''Car j'ai jugé pur et cru limpide,
un être aussi noir que l'enfer et aussi sombre que la nuit: toi.''
William Shakespeare


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    De quelle façon avez-vous découvert le forum ? Par la méchante fondatrice <3 *expulsée*
    Des suggestions pour l'améliorer ? Nope
    Autre chose? [Code Validé par Victoria] [Désolée pour la longueur de la fiche ToT Et j'espère que l'utilisation des predefs à la fin est correste, sinon je changerai. Et je repars en vacances lundi, donc on ne me verra pas sur le forum la semaine prochaine, voilàààà o/]


Dernière édition par Caine Soren le Dim 23 Jan - 17:39, édité 1 fois
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Message  Victoria Stanford Lun 2 Aoû - 15:11

    Quelle belle fiche! J'avais peur au début, en voyant sa longueur, mais la taille vaut le coup =D
    Ne t'inquiètes pas tu as bien utilisé les prédefs -A-
    Et même si la raison de son entrée au pensionnat est inventée, tu as bien respecté le roman (en rajoutant la scène du bateau qui existe vraiment, et en avouant qui est la vraie mère de Caine)

    Bref, Drake m'a chargé de te dire qu'elle aurait voulu te valider, mais comme c'est idiot de te faire attendre une semaine, c'est moi qui aurait cet honneur Caine Soren ~ The research of crown  499857

    Dooonc, Dégénérés > Validé XD
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